Gigean

Aux pieds de Saint-Félix, au seuil de sa garrigue,
Gigean s’épanouit dans l’azur occitan.
Des plus proches hauteurs, dans leur écrin d’argent,
Bleuissent les étangs où le pêcher navigue.

Plus loin, jaillit la mer et son halo de rêve,
Dans les jeux lumineux et ses flots palpitants.
Mouettes, goélands mêlent près de la grève,
Leurs ailes blanches aux blancs voiliers frissonnantes.

Quand le ciel étoilé luit sur les eaux dormantes,
Par une douce nuit qui sommeille et se tait,
Sur les clairs éboulis aux formes nonchalantes,
Imprégné des parfums et des soupirs d’été,
La campagne susurre, aimable confidente,

De ses massifs poreux mille tonalités
Qui glissent dans mon cœur, plein de diversité,
Le deuil et le regret de quelque image absente.

Gigean, ô mon pays, ma jeunesse, ma flamme,
Buisson ardent aux plis d’un divin reposoir !
A la pointe du jour, je sens vibrer mon âme,
J’entends battre son cœur à l’angélus du soir.

Pierre BÉCAT

Le Canigou

Ses teintes, ses rayons, varient au gré de l’heure,
Du mauve de l’aurore à la pourpre du soir,
Une brume impalpable à la minute effleure
Son faîte rougeoyant, pur comme un ostensoir.
Sa crête illuminée, au premier matin rose,
D’un bleu pâle à midi, miroitante au couchant,
Prend des couleurs de chair dans ses métamorphoses,
Et vire au gris d’ardoise à la nuit approchant.

Dans sa splendeur ambrée et sa beauté de marbre,
Tous ses feux condensés s’évaporent soudain.
A l’appel de la nuit il tend, comme un grand arbre,
Aux vrais flambeaux du ciel son front calme et hautain.

Il a su résister aux siècles d’âge en âge,
Il brise indifférent orages et typhons,
Il est civilisé tout en restant sauvage,
Et nul ne le connaît dans ses replis profonds.

Ses pistes, ses chemins ont de brusques virages
Qui butent aux rebords parfois vertigineux,
D’où l’on voit s’effondrer, comme aux creux des alpages,
Des pins agglutinés dans des amas rocheux.

Un cyprès, une chèvre, une bête de somme
Qu’on croirait agrippés près d’un ravin béant,
Aux abords crevassés, impressionnants pour l’homme,
Vibrent dans le fracas d’un torrent bourdonnant.

Il a ses verts pâtis où tintent les sonnailles,
Ses vides effrayants, ses pics inexplorés.
Le long de ses parois, de géantes entailles
Abritent des sentiers à travers les fourrés.

Silence des hauteurs et vertige des cimes.
Immense solitude aux falaises d’airain,
Où l’oiseau prédateur, au-dessus des abîmes,
Fonce sur une proie et l’enlève soudain.

Plus loin, quelques isards, un moment immobiles,
Franchissent d’un élan les coupoures des monts.
Puis, comme suspendus sur leurs pattes agiles,
Ils guettent le chasseur du haut de leurs balcons.

On y peut contempler le Golfe du Lion,
Dans la fascination de notre mer latine,
La plaine qui s’étire au long du Roussillon,
Le Ventoux qui défend la Provence voisine.

De sa croupe arrondie, éclatante et bleuâtre,
Qui livre incontinent quelque abri dans son flanc,
On découvre à ses pieds comme un amphithéâtre
La Têt et sa vallée aux portes du Conflent.

Vernet et ses hivers tièdes aux heures moites,
Prades et ses vergers aux parfums d’ambroisie,
Et son fleuve ondoyant dans ses berges étroites,
Molitg aux nuits d’été dignes d’Andalousie.

Tel est le Canigou, merveilleux florilège
Des climats, des saisons, des décors, des couleurs,
Qu’il soit enveloppé dans son manteau de neige,
Que ses rhododendrons le couvrent de leurs fleurs.

Géant, majestueux, splendide, solitaire,
Contraste florissant de concerts lumineux,
Sa pointe de diamant, sa forêt lapidaire,
Attirent le touiste intrépide et curieux.

Toujours plein d’impévus, telle une nébuleuse,
Sa forme, sa grandeur le font universel.
Il garde sa jeunesse aimable et généreuse
Et la sérénité de son faste éternel.

Pierre BÉCAT

Regards sur la décadence

Nous vous invitons à consulter le fascicule « Pierre Bécat, un regard sur l’histoire » (textes extraits de Regards sur la décadence) diffusé par le Groupe d’Action Royaliste, et disponible en format PDF à l’adresse suivante : http://www.calameo.com/books/00086931338f23ddb9d8b
Nous publions également un autre extrait de cet ouvrage, transmis et introduit par M. Frédéric Winckler du Groupe d’Action Royaliste, et publié sur le site http://www.actionroyaliste.com/.
J’ai passé de nombreux après-midi avec Pierre Becat, durant lesquels nous parlions des heures interminables sur ses souvenirs d’Action Française. De Pierre de Bénouville (résistant) et Jacques Renouvin (résistant, mort en déportation), anciens Camelots du Roi, qu’il avait bien connu, du Comte de Paris et tant d’autres souvenirs. Les lecteurs de Proudhon, les esprits libres y trouveront matière à réfléchir. Bref ceux qui tournent le dos au prêt à penser, qu’ils soient de sensibilité de gauche comme de droite, pourvu qu’ils aient encore dans les veines un sang « rebelle » face au monde uniforme qui approche. C’est en pensant à lui, que je publie ici quelques lignes ou nous retrouvons toute son analyse parfaite des évènements qui de la Révolution à aujourd’hui, illustrent la décadence Française… 
La mort du maître de l’Empirisme Organisateur, méthode d’analyse historique, qui servira au gouvernement, d’occasion pour dissoudre les Ligues.
Cet empirisme qui annonçait la guerre arrivant, faisant suite aux clauses du mauvais traité de Versailles, « plus dure dans ce qu’il devait être tolérant et plus tendre dans ce qu’il devait être intransigeant…. ».
Comment l’absence de stratégie et le manque de diplomatie, précipitèrent l’Italie dans les bras d’Hitler, au nom de belles idées utopiques, annonciatrices de charniers…
Frédéric Winkler

Les obsèques de Jacques Bainville

Les obsèques de Jacques Bainville, écrivain, historien, journaliste, de l’Académie Française, ont eu lieu le 13 février 1936. Le corps du défunt avait été exposé dans la cour de l’immeuble où il habitait, rue de Bellechasse. A midi, dans ce local trop étroit pour contenir tous ceux qui s’y pressaient, deux discours furent prononcés : l’un par Léon Daudet, au nom des amis du défunt, l’autre par Me Henri Robert, directeur de l’Académie Française, parlant à titre personnel et en tant que représentant de l’illustre compagnie.
«La mort de Jacques Bainville, commença Henri Robert, est pour tous ceux qui l’ont connu, aimé et admiré, un sujet de profonde tristesse. Certes, nous le savions malade, atteint aux sources mêmes de la vie, mais nous voulions espérer quand même. II nous donnait l’exemple, en luttant avec un indomptable courage, un magnifique stoïcisme contre le mal qui le torturait. II avait auprès de lui, pour l’aider dans ce dur combat, sa femme dont les soins attentifs et l’inlassable dévouement réussirent par une sublime conspiration, à l’arracher plusieurs fois à son cruel destin.»
«Sa femme et son fils, ses confrères et ses amis ne sont pas les seuls à ressentir profondément la perte douloureuse qu’ils viennent de subir. Les Lettres françaises sont aussi en deuil. Maurice Donnay, en le recevant à l’Académie, a fait de notre confrère un magistral et définitif éloge.»«Dans les tristes circonstances présentes, je ne puis qu’évoquer son oeuvre. Jacques Bainville a écrit des livres qui ont con sacré sa grande réputation, et il est toujours resté fidèle au journalisme dans lequel il avait fait ses débuts, alors qu’il sortait à peine du lycée, en écrivant à Francisque Sarcey une lettre que celui-ci inséra dans Le Temps. Voir pour la première fois son nom imprimé dans les colonnes d’un grand journal, quelle joie et quel orgueil pour un collégien. Ce simple fait décida peut-être de sa vocation… »
Après ce discours qu’il serait trop long de reproduire en entier, Léon Daudet poursuivit :
«C’est comme vis-à-vis quotidien de Jacques Bainville, à notre table commune de travail de l’Action Française depuis vingt-huit ans, que je viens apporter à l’admirable veuve et au fils de notre cher ami, le suprême témoignage de notre douleur et aussi de notre fierté. Fierté que peuvent partager tous les collaborateurs de ce grand écrivain qui fut aussi un grand patriote.» «Eadem velle eadem nolle ea est vera amicitia. Vouloir les mêmes choses, ne pas vouloir les mêmes choses, voici la véritable amitié. La fidélité amicale de Bainville était connexe à la fidélité de ses convictions politiques. II disait de Charles Maurras qu’il lui devait tout sauf le jour. Cette formule pourrait être celle de la plupart d’entre nous. Tant de peines profondes et aussi de joies et de certitudes en commun ont créé entre nous, les maurrassiens, une solidarité que la mort même ne saurait anéantir. » «S’il est vrai que l’amour est plus fort que la mort, cela n’est pas moins vrai de l’amitié et au-delà des tombeaux quand il s’agit d’écrivains et d’hommes d’action, celle-ci se continue par leurs oeuvres, par leurs actes, par leurs intentions fraternelles.» «Amis, nous le fûmes dans la patrie, dans la France, notre mère, dont les dangers, les risques nous apparurent ensemble. Historien né, objectif et clairvoyant, pressentant les effets dans les causes comme un Thucydite et un Fustel de Coulanges, Bainville était atteint de cette transe des époques troubles : l’angoisse pour le pays. II n’était pas de jour qu’il ne m’en parlât ou n’y fît allusion. Poète par surcroît et de l’esprit le plus vif, le plus spontané, il voyait, navigateur des âges écoulés, monter à l’horizon les points noirs, annonciateurs de la tempête.» «Un article de lui dans la revue d’Action Française du 14 juillet 1914, intitulé Le Rêve serbe, annonce avec précision et clarté le mécanisme de la guerre européenne qui vient.»… «Sa plume ne tomba de ses mains qu’à la dernière minute. Jusqu’à ses derniers moments il s’entretint avec nous des sujets les plus divers, de ceux surtout qui lui tenaient au coeur. Cela nous permettait à nous, les collaborateurs de chaque jour, de lui cacher notre inquiétude.» «La veille de sa mort, il s’occupait avec Maurras de La Bruyère et il nous parlait de ses projets. Une seule plainte : quand pourrai-je reprendre avec vous nos petits dîners d’amis.» «Cher Bainville, tendre, délicat, grandiose ami, jusqu’à l’heure d’aller vous rejoindre, quand nous aurions dû vous précéder nous ne cesserons de penser à vous, de vous pleurer, de prier pour vous. »
Depuis lors, les événements n’ont fait que confirmer ce que nous savions déjà. Jacques Bainville était un esprit prophétique. C’est dans l’étude du passé, dans les profondeurs de l’Histoire qu’il lisait l’avenir. Entre autres prévisions, il avait annoncé, sept ans à l’avance, l’avènement d’Hindenbourg à la présidence de la république allemande. Peut-être alors, disait-il, mesurera-t-on l’aberration de notre politique. L’aveuglement de nos politiciens n’en persista pas moins. Et Hindenbourg eut toute latitude pour préparer la revanche en laissant la place à Hitler. La France était alors dans une de ces périodes tragiques, qui n’était pas la première depuis la Révolution et ne devait pas être la dernière, où chacun sent la catastrophe imminente, mais rares sont ceux qui osent l’annoncer. Cette sorte de léthargie permet aux gouvernements républicains de lancer le pays dans une guerre de diversion. Après quoi, il est interdit de douter de la victoire, faute d’être défaitiste. Et quand la défaite survient, laissant la France humiliée et meurtrie, les responsables s’en tirent en passant le fardeau aux innocents dont ils feront ensuite leurs accusés et leurs victimes.
C’était l’époque où Maurras écrivait : L’amour de l’Allemagne est une des maladies de la gauche française. Pourquoi ? Par ce que l’entreprise politique à laquelle la gauche, bon gré, mal gré, consciemment ou non, se trouve associée, est une entreprise d’anarchie et de barbarie dont les frais doivent être payés par tous les Français. La haine du passé français voue la gauche à cette fonction. La gauche s’était lancée dans une campagne acharnée contre Mussolini, notre allié le plus naturel, qui avait jusqu’alors empêché l’Anschluss en mobilisant sur le Brenner. Quant à l’Hitlérisme, elle ne s’en préoccupait point. Elle était même persuadée qu’en abandonnant la Sarre au Reich et en laissant les Allemands réoccuper la rive gauche du Rhin on aboutirait à une paix certaine. «Les chefs socialo-démocrates et communistes ont ruiné la propagande nazie», écrivait Léon Blum dans le Populaire du 12 janvier 1934. En fait, le plébiscite apportait à Hitler 90 % des votants. Confirmation aveuglante des résultats précédents qui n’avaient en rien modifié l’attitude des mêmes politiciens. C’est ainsi que dans le Populaire du 18 janvier 1932, on avait pu lire ces lignes, sous la même signature :«II est infiniment peu probable qu’une fois installé au gouvernement Hitler se livre à des provocations directes soit vis-à-vis de la France, soit même vis à-vis des puissances de l’Est. Révolutionnaire, il s’incline aujourd’hui devant la légalité allemande; il s’inclinera demain devant la légalité internationale.»
Or, en 1933 Hitler quittait la Société des Nations.
En mars 1935, il déchirait le Traité de Versailles et annonçait le réarmement de l’Allemagne.
En mars 1936, dénonçant le pacte de Locarno, il réoccupait en force la rive gauche du Rhin.
Seul, le député socialiste M. Grumbach, dans le Republikaner de Mulhouse, sans doute parce qu’Alsacien, se rallia aux démonstrations de Bainville. II s’était rendu compte que la victoire électorale des racistes de Hitler en Saxe avait coïncidé avec notre évacuation de la Rhénanie. En juin 1936, c’est l’avènement du Front Populaire. Hitler, complètement rassuré, se pose en défenseur de l’Italie à qui le gouvernement de la France applique rigoureusement «les sanctions», au sujet de l’Ethiopie. Seul, jusqu’alors, Mussolini s’était opposé à l’Anschluss, en mobilisant sur le Brenner en 1934. Désormais, il restera neutre. Hitler, n’ayant rien à redouter de la part de la France, décidera la réunion de tous les pays de langue allemande et occupera l’Autriche le 13 mars 1938.
Après avoir réussi son coup de force en Tchécoslovaquie, occupé Mémel, postérieurement aux accords de Munich, renforcé son alliance avec l’Italie et signé le pacte de neutralité germano-soviétique. Hitler se voit déclarer la guerre par le Front Populaire, au moment même, comme l’a dit Maurras, où il n’attendait que cela. Devant cette veulerie de l’Etat démocratique français, Bainville avait écrit avant sa mort : »Il ne sert à rien d’avoir raison.» Livrant au jour le jour le fruit de ses méditations, Jacques Bainville parlait peu, sauf avec quelques intimes : Léon Daudet, Maurras, Léon Bérard et certains autres qui ne concluaient pas comme lui à la nécessité de la monarchie, tel Raymond Poincaré qui était un de ses lecteurs assidus et un de ses admirateurs. Je n’ai pas oublié pour ma part une conversation prolongée que j’ai eu la chance d’avoir avec lui, après la parution de ses deux ouvrages que j’aime le moins : son Histoire de la Troisième République et son Napoléon. C’était dans son bureau de l’Action Française où il m’attendait seul pour m’entretenir d’une question juridique. L’essentiel étant dit, il me parla de Sainte-Beuve qui me parut être son auteur préféré. Ce grand observateur, dit-il, qui savait que l’homme à toutes les époques et dans tous les siècles se ressemble, qu’il a les mêmes passions, qu’il raisonne et se comporte de la même manière dans les mêmes cas. A son école, on ne croit pas que l’humanité date d’hier, qu’elle est différente aujourd’hui de ce qu’elle était autrefois, que les révolutions, les chemins de fer, le téléphone l’ont transformée. L’homme vit entre les convulsions de l’inquiétude et la léthargie de l’ennui. C’est à peu près le rythme de l’Histoire qui rend compte des évolutions et des guerres. L’homme ne change pas et il a besoin de gouvernements qui l’aident et le protègent. Ainsi que Napoléon, il considérait les institutions de l’Ancienne France comme les meilleures qui aient existé et qu’il suffisait, à chaque génération, de moderniser.
Encore jeune, Bainville n’avait pas atteint son apogée. Mais sa notoriété et son influence étaient telles qu’autour de son cercueil, au premier rang de l’assistance se pressaient les plus hautes personnalités de la politique et des lettres… Dans le cortège, précédé de deux chars remplis de fleurs et de couronnes, dont celles du duc et de la duchesse de Guise, on distinguait les très nombreuses délégations des journaux, avec entre autres Lucien Romier, Henri Massis, Louis d’Harcourt. Charles Maurras et la reine Amélie du Portugal suivaient aussitôt après la famille.
Tandis que cet imposant cortège s’engageait sur le Boulevard Saint-Germain, toutes sortes de délégations massées sur les côtés du boulevard et faisant la haie, se joignaient aussitôt à lui. De la rue de Bellechasse à la rue de l’Université, aux abords du Métro Solférino, les ligueurs de Paris et de la banlieue affluaient, ainsi que le groupe nombreux et discipliné des étudiants venus de la rue de l’Université et de la rue de Lille. La population parisienne, dans le plus profond recueillement, se décou­vrait devant cet impressionnant cortège qui défilait dans le plus profond silence. C’est alors que se produisit un incident qui devait avoir de graves répercussions sur la politique extérieure de la France. Tandis que Léon Blum, sortant de la Chambre des députés, regagnait en voiture son domicile, il se heurta au cortège funèbre. Le chauffeur prétendit qu’il avait stoppé aussitôt, mais reçu l’ordre de forcer le cortège. Indignés, des protestataires, dont certains n’étaient que spectateurs, s’interposèrent et cassèrent les vitres de la voiture. Léon Blum reçut des ecchymoses au visage et se fit conduire à l’Hôtel Dieu où il fut pansé immédiatement.
Quand il revint à la Chambre des députés, avec une mise en scène bien orchestrée, il fut accueilli par son parti aux cris de «Dissolution des Ligues». Et Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, fit signer, par le président fantoche Albert Lebrun, la dissolution de toutes les organisations d’Action Française que suivit celle de toutes les ligues nationales. Dans la situation inextricable où se débattait alors le gouvernement, au lendemain des émeutes du 6 février et à la veille de la préparation du Front populaire, dans la contexture d’une politique étrangère tendancieuse, il faut une explication logique.II semble exclu que Léon Blum, qui n’aimait ni la foule ni la bagarre, ait lui-même poussé son chauffeur à forcer un cortège funèbre, dans des conditions qui ne pouvaient que lui nuire. D’un autre côté, qui avait donné l’ordre au chauffeur d’aller de l’avant? Léon Blum n’était pas seul dans la voiture et il semble bien qu’elle ait été téléguidée. C’était d’ailleurs l’avis de Jean Chiappe qui s’y connaissait sur ce genre de complots. Au surplus, pour masquer les lugubres reflets de ce tableau déprimant, une certaine presse a prétendu que le chef socialiste molesté avait été délivré par un groupe d’ouvriers qui travail laient non loin de là. Or, cela n’a jamais existé. D’abord, il était plus de midi et demi, heure à laquelle les ouvriers ne sont pas au travail. En second lieu, les étudiants, ligueurs et membres du cortège n’ont porté la main sur aucun des occupants de la voiture. Les agents survenant n’ont procédé à aucune arrestation. Et d’ailleurs, jeunes et nombreux comme ils l’étaient, les protestataires, s’ils l’avaient voulu, auraient fait voltiger comme un hochet la voiture et ses occupants. Enfin, qu’auraient pu faire à leur encontre quelques ouvriers qui seraient intervenus?
II y avait là Maxime Réal del Sarte et sa redoutable équipe. Evidemment, cela fait bien de pouvoir dire que des ouvriers sont intervenus en tant que sauveteurs d’un chef socialiste en danger, comme si les socialistes avaient le monopole de la classe ouvrière qui, à Paris, on le voit aux élections municipales, est plutôt nationaliste. D’ailleurs, Léon Blum n’était pas député de Paris. Mis en échec dans la région parisienne, il s’était fait élire à Narbonne. Mais depuis la spoliation des entreprises de presse, on nous fa brique une petite histoire qui s’enracine peu à peu dans les esprits. A vrai dire, il fallait un prétexte pour dissoudre les ligues nationales qui s’insurgeaient contre une politique qui conduisait à la guerre. C’est Mandel qui disait que les démocraties ne se préparent à la guerre que si l’on les y engage d’abord. Pour éviter un nouveau 6 février, il fallait procéder à la dissolution des ligues et trouver un prétexte à cet effet. Le régime ne manquait pas de moyens. Mais il sortait amoindri des émeutes sanglantes, la disparition de Stavisky, du Conseiller Prince hantait encore toutes les mémoires. Les forces occultes de la république se sont rabattues sur un procédé macabre, sans se dissimuler pour autant que le stratagème aurait pu mal tourner.
Pierre Bécat, Regards sur la Décadence

 

Henri V et les féodaux

 

Genèse de l’ouvrage (par André Bécat)

Si l’on se réfère aux traditions des familles Bécat, Rotgé-Roger, la fidélité à la branche aînée, légitimiste, est constante. Dans les albums photographiques des Bécat, on trouve un portrait d’Henri V, figurant à côté d’une photographie du Prince Impérial, car depuis l’alliance entre les Bécat et les Fieschi, qui descendent des Ramolino (famille de la mère de Napoléon), une passion bonapartiste s’est emparée d’une partie de la famille. Même scénario du côté des Rotgé-Roger. Gabriel Rotgé (1826-1904), juge de paix de Sournia, grand propriétaire terrien, pionnier dans l’observation météorologique, était de tradition légitimiste, comme ses parents et grands-parents. On le constate très bien dans les commentaires qui émaillent son carnet d’observations météorologiques et qui constitue un véritable journal local et familial. Cependant, l’alliance avec les Bonet, va, là aussi, introduire un penchant bonapartiste.
L’impossibilité pour Henri V de monter sur le trône de ses ancêtres a été vécu comme une tragédie par les deux familles. Sous l’influence rayonnante de Charles Maurras, et surtout de Marcel Azaïs, mon Père finit par se rallier aux Orléans. Après 1936, il se détacha progressivement de l’Action française et donna une série de conférences dans toute la France en se référant souvent aux actions sociales du Comte de Chambord. Même évolution suivie par son collaborateur Me Jacques Renouvin. Cependant, une certaine défiance subsistait envers la famille d’Orléans. Les péripéties des années 1940 n’ont pas amélioré la situation. Pourtant, les relations reprirent au retour d’exil des Princes. Cela se concrétisa par l’invitation du trio Bécat au mariage à Dreux du Prince Henri avec la Duchesse de Wurtemberg (5 juillet 1957).
La suite des évolutions allait bientôt augmenter la méfiance. C’est dans ce contexte que, grâce à un ami parisien, j’ai fait en 1970 la connaissance d’un neveu de l’Académicien et « Duc » René de Castries (1908-1986). Il devait passer une partie de ses vacances d’été dans le château de Castries, résidence de son oncle, près de Montpellier, et vint nous rejoindre quelques jours à Gigean, avant de repartir. Puis, un coup de téléphone du « Duc » de Castries nous invite à venir déjeuner et passer l’après-midi au château. Nous étions trois, une amie valaisanne, mon ami parisien et moi-même. Le repas, très agréable, servi sur une splendide table en acajou qui me semblait anglaise, devint quelque peu solennel quand la « Duchesse » annonça à notre souriante valaisanne qu’elle occupait la place d’honneur où se trouvait la Reine Mère d’Angleterre. La visite des jardins, de l’aqueduc de Riquet, sous la conduite des illustres propriétaires, fut passionnante.  Comme nous allions nous retirer (il était déjà plus de 17h), le « Duc » s’installa à son bureau, et nous dédicaça à chacun le dernier de ses ouvrages, qui venait de paraître, Le grand refus du comte de Chambord. En rentrant à Gigean, sous une somptueuse lumière méditerranéenne, je ne m’attendais pas aux répercussions qu’allait avoir cette dédicace. Pourtant, en arrivant au soleil couchant au fond du jardin, nous eûmes la surprise de voir surgir au-delà de la Montagne d’Agde, le Canigou d’un bleu marine majestueux. C’est signe d’orage trois jours après, dit-on dans la région. Nous avons repris notre vie insouciante et relaxante.
Trois jours après l’apparition du Canigou, de gros orages rafraîchissaient ponctuellement les terres viticoles languedociennes surchauffées. Mes amis repartaient, et ce fut le retour de Prades des Parents, qui venaient me retrouver pour s’occuper avec moi des vendanges. Le livre décidacé du « Duc » de Castries éveilla rapidement la curiosité de mon Père. Il disparut dans son bureau… Je ne l’ai d’ailleurs jamais retrouvé ! Toujours est-il qu’il déchaîna des passions légitimistes ancestrales. Mon Père fouilla dans ses abondantes documentations historiques et commença à échafauder le projet d’un ouvrage réfutant les théories quelque peu évanescentes du « Duc » Académicien. Le titre fut vite trouvé : Henri V et les féodaux. Le principal visé n’était pas loin et ne se doutait pas de l’orage qu’il venait de provoquer en me dédicaçant son ouvrage. La riposte paternelle fut rapidement constituée. Quelque peu embarrassé, j’essayais de gagner du temps en… faisant la grève des corrections ! En effet, nous relisions et corrigions, ma Mère et moi, tous les romans, essais, poèmes et chroniques que mon père se préparait à faire paraître. Tout cela sans compter les nombreux poèmes ! Il en réalisait un, et quelquefois plusieurs par jour qu’il déclamait de sa voix de prétoire. Ma Mère surtout et moi progressivement étions passés maîtres pour stopper les élans oratoires. On l’aiguillonnait en relevant la moindre faiblesse des poèmes. L’orateur réagissait comme un taureau furieux. Même lorsque nos piques étaient à fleuret moucheté, cela prenait l’allure de joutes à la Sétoise. Au fond, le trio s’amusait beaucoup ! Rien de tout cela avec la réplique du Grand refus… Non seulement j’avais fait la grève de corrections, mais je ne l’ai jamais lu ni un livre ni l’autre pendant de nombreuses années !
De toute manière, je ne pensais pas rencontrer le « Duc », ce qui me rassurait. Cependant, plus tard, le destin allait me réserver une surprise. C’est ma propre Mère qui allait en être l’instrument involontaire. On inaugure, me dit-elle, une grande partie des restaurations du château d’Alexandre Dumas, « Montre-Cristo » au Port-Marly (dans les Yvelines). Quelques personnalités sont là, dont le Président de la société de restauration, Alain Decaux… mais je ne savais pas que le vice-président était le « Duc » de Castries, qui était là en personne, et me reconnaissant, me dit : « Il paraîtrait que j’ai provoqué un cyclone en vous dédicaçant mon Grand refus… » Je rétorquai en lui disant que j’avais fait grève de corrections, précisant que je n’avais lu aucun des deux ouvrages. J’étais donc en terrain neutre. Le propre des ouvrages intéressants est de provoquer des réactions fortes, me répondit le « Duc ». Puis un aimable échange s’installa sur les talents culinaires de l’illustre maître des lieux. Je ne devais plus revoir le « Duc » qui disparut peu après (en 1986). Le temps passa, mes Parents disparurent. En 2008 parut le livre de Daniel de Montplaisir, Le comte de Chambord. Le rencontrant rue du Petit-Pont, il me demanda si je pouvais lui fournir Henri V et les féodaux. L’occasion me fut donnée de le lui offrir lors de l’Université d’été du Mans en 2009. Je m’empressai d’acquérir son propre ouvrage. La dédicace fut éloquente : « Au fils de celui qui m’a beaucoup appris ». Étant revenu dans le giron légitimiste, je lus avec autant d’intérêt les deux ouvrages qui m’ont conforté dans mon choix.

Résumé (quatrième de couverture)

Aux romans, poèmes et ouvrages historiques et économiques qu’il a publiés, notamment le Napoléon et le Destin de l’Europe, de plus en plus demandé, Pierre Bécat ajoute : HENRI V ET LES FÉODAUX où il met en lumière la haute et véritable figure du Comte de Chambord, qui aurait dû régner sous le nom d’Henri V et dont la personnalité a été déformée et calomniée par une poignée de ducs intéressés à faire échouer la Restauration.
Ces derniers et certains de leurs descendants ont représenté le Prince comme responsable de ce qu’ils ont appelé le « grand refus », alors que par leurs intrigues, peu à peu dévoilées, ils l’avaient systématiquement écarté du pouvoir. Élus par le peuple pour ramener Henri V, ces transfuges entendaient constituer, accaparer et conserver à leur profit une sorte de gouvernement féodal.
L’auteur fait justice de la question du drapeau, en se reportant à des textes irréfutables, dont les propos du duc de Lévis et du Comte de Chambord lui-même. Toute cette phase passionnante de l’Histoire de France, de 1848 à 1877, est explicitée en 224 pages.
On y trouve le remarquable programme social du Comte de Chambord, en avance de 150 ans sur son siècle, et bien plus et juste et plus humain que l’actuel, puisqu’il comportait le vote de l’impôt et ne pouvait être générateur d’agitations ni de grèves.
Au vrai, c’est l’énoncé de ce programme qui avait ligué contre Henri V les puissants du jour, associés à l’exploitation d’un État dépourvu de son chef légitime.
Si, par la suite, le Comte de Paris Philippe VII, le duc d’Orléans Philippe VIII et Charles Maurras qui l’a reconnu ont établi une doctrine sociale inexpugnables, ce fut grâce à l’intelligence et à la grandeur d’âme du Comte de Chambord.

Table des matières

Première partie
Départ de Charles X et la Monarchie de Juillet
Le parlementarisme
Le droit divin
Le travailleur isolé
La légitimité de 1830 à 1848
Formation du prince
La fusion manquée
L’heure de Napoléon III
Le coup d’Etat
Lendemains du 2 décembre
Nouvelle tentative de fusion
Négociations sous l’Empire
La fusion torpillée
La guerre de 1870
Les républicains pour l’unité allemande
L’affaire du trône d’Espagne
Un succès diplomatique sans lendemain
Les va-t-en-guerre tombent dans le piège de Bismarck
Deuxième partie
La victoire de Thiers
Chute de Thiers
Mauvais débuts
Le programme social d’Henri V
La fusion
La caisse noire
L’entrevue des Deux Princes
Une basse manoeuvre
Le plan de Janicot
Nouvelle offensive à Frohsdorf
Mission Sugny et du Vigneux
Mission Gambier
L’entretien de Salzbourg
L’entretien
Satisfaction de Chesnelong
Le mauvais coup des ducs et le faux Savary
Autour du septennat
La présence du prince
Le calice
Le vote
L’adieu
Le 16 mai 1877 et la démission de Mac-Mahon
Les derniers outrages
L’intervention du Comte de Chambord
Les Lois constitutionnelles
L’amendement Wallon
Le chef d’Etat ficelé
Vers la dissolution
La dissolution
Le maréchal persiste et succombe
Le nouveau régime et le départ de Mac-Mahon
Epilogue
Lettre sur les ouvriers
Conclusion

Pierre Xardel

Issu d’une ancienne famille lorraine, Pierre Xardel (Nancy, 3 juillet 1887 – Nancy, 16 décembre 1960) est avocat à la cour de Paris où il rencontre Pierre Bécat dont il devient un ami très proche. Il épouse Isabelle Sandy (pseudonyme d’Isabelle Fourcade : Cos, Ariège, 15 juin 1884 – 8 mai 1975), écrivaine et journaliste, auteur de romans méridionaux, qui l’amène à beaucoup résider en Ariège. Cependant, Pierre Xardel reste attaché à la Lorraine et à l’héritage de Maurice Barrès.
Le grand mérite de Pierre Xardel fut de fonder et de présider dans les années 1930 le Cercle de Sèze à Paris, du nom de l’avocat de Louis XVI, cercle rassemblant des avocats proches du royalisme mais appartenant à des horizons dépassant largement l’Action française. Pierre Bécat en fut l’un des premiers membres.
D’après André Bécat

Jacques Renouvin

Dès son inscription au barreau de Paris, Me Renouvin (Paris, 8 octobre 1905 – Mathausen, 24 janvier 1944) est devenu un collaborateur de mon père. Il  assurait seul la gestion du cabinet, lorsque nous allions dans le Midi, mes parents s’occupant des diverses propriétés familiales. Il faisait partie d’un petit groupe d’amis comprenant, outre mes parents, le futur Général de Benouville (« Benou » pour ses amis), Me Pierre Xardel, qui était président du Cercle de Sèze, Joseph Thérol, auteur d’une collection sur les missionnaires Maristes (Martyrs des Neiges, des Sables, des archipels), le capitaine de frégate François Jaubert, cousin germain de ma mère et mon parrain. Bien que très jeune, j’ai eu l’occasion de le voir souvent, puisqu’il travaillait tous les jours à la maison. Très grand (presque deux mètres), charmant, plein de vie, spirituel, il me faisait virevolter dans ses grands bras, m’expliquant que c’était un exercice efficace pour affronter les manèges les plus spectaculaires de la bien nommée « Foire du Trône » voisine. Il a joué un grand rôle dans la réussite du Cercle de Sèze qui réunissait grâce à Me Pierre Xardel des personnalités débordant largement l’influence de l’Action française.
 
 
 
En 1938, coup d’éclat, à l’arc de Triomphe, il soufflette Pierre-Etienne Flandin, président du Conseil, parce qu’il venait d’envoyer un télégramme d’encouragement à Hitler ! Mais cette insulte s’est déroulée avec une infinie distinction, car il a lancé sur les joues de l’intéressé le gant de « beurre frais » qui armait sa main droite. Du coup, il faisait ses « visites de château » chez les maîtresses de maison qui se bousculaient pour le recevoir, avec une boîte de chocolats… et un seul gant ! Le lendemain, mon grand-père maternel, Joseph Rotgé, se déplaçait à grand fracas à la poste de Prades pour lui envoyer un vibrant télégramme de félicitations ! Il avait tout d’un capitaine Fracasse.
 
Ses activités de Résistant nous ont beaucoup inquiété, car son physique était le contraire de ce qu’il fallait pour effectuer des actions clandestines. Sa très haute taille et une voix de Stentor le rendaient repérable très facilement, et il a échappé, souvent d’extrême justesse, à de nombreuses tentatives d’arrestation organisées par la Gestapo.
 
Aussi, vu le danger croissant, mes parents l’ont supplié de se rendre dans un grand mas que possédait ma famille à Thuès, d’où il était facile de gagner la frontière espagnole par des sentiers, certes escarpés, mais très peu fréquentés. Bien que n’ayant que sept à huit ans, je connaissais bien tous les chemins, car j’y allais avec Pierre, le berger du mas. Il était donc prévu que j’escorterais le « sergent » (on l’appelait ainsi) pendant tout le début du chemin, ensuite, des relais avaient été prévus jusqu’en Catalogne Sud. Malheureusement, emporté par l’action, il n’est finalement pas venu à Thuès, et s’est fait arrêter en zone de Brive. Sa fin terrible nous a beaucoup affecté. D’un autre côté positif, il a connu sa femme en prison, s’est marié et à donné naissance à Bertrand Renouvin qui bien plus tard est venu voir mes parents.
 
Pour plus de détails, voir les différents sites sur Jacques Renouvin, et le blog, très émouvant, de son fils Bertrand Renouvin.

D’après André Bécat.

Mad Labergère

Artiste peintre.
Dès sa prime jeunesse, Mad Labergère manifeste des dons artistiques. Elle a suivi assidument les cours de l’Académie Jullian. Son caractère vif et enjoué se reflète dans toutes ses oeuvres. Mariée à un brillant polytechnicien et mère de deux enfants, ses obligations familiales ne l’empêchent pas de développer une intense activité créatrice, en employant des techniques variées : dessin, gouache, sanguine, aquarelle et peinture à l’huile. Elle réalise les couvertures de plusieurs livres de Pierre Bécat : Le champ du moulin, Le crime du curé de Nohèdes, Gerbes sur l’étang de Thau, ainsi que des peintures des lieux de vie des époux Bécat : Thuès, Prades, etc.

Couvertures de livres de Pierre Bécat réalisées par Mad Labergère
Le village de Gigean par Mad Labergère
La maison de Bordes à Prades par Mad Labergère
La maison Bécat à Prades par Mad Labergère
Deux vues de l’égise de Thuès à la sanguine par Mad Labergère
Portrait du capitaine de frégate François Jaubert jeune par Mad Labergère

Généalogie

Pierre Bécat était avocat et écrivain, mais, au coeur de ses combats politiques et de ses inspirations littéraires, se trouvent les lieux où vécurent ses ancêtres et les demeures qu’ils lui léguèrent. C’est tout d’abord le Languedoc, terre d’origine des Bécat, puis le Roussillon. Les actuels départements de l’Hérault, d’un côté, et des Pyrénées-Orientales, de l’autre. Mais, en remontant, on s’aventure aussi en Irlande…

Familles Bécat (Pignan), Maissonnier (Gigean)

 

La famille Bécat est fixée à Saint-Paul-Valmalle (34), au XVIIe siècle. En 1677, par un mariage, elle se fixe à Pignan. C’est l’union d’Antoine Bécat et de Jeanne Dufour. Dans les degrés suivants, les Bécat sont tous cultivateurs et propriétaires (travailleur [de terre]). Ils s’allient à chaque génération dans une famille du même monde : Arbousset, Pinède, Mestre, puis Deleuze.
C’est Pierre Bécat, second du nom, né en 1813, qui épouse en 1838 Joséphine Elisabeth Deleuze. Celle-ci, fille d’un riche propriétaire terrien, est la petite-fille de Jean André Deleuze, originaire de Murviel-lès-Montpellier, et de Catherine Agnès Delanglade. Cette famille Delanglande est une influente lignée de notaires royaux de Pignan, qui ont donné un viguier à la ville en la personne de Louis Delanglade. Au XIXe siècle, un cousin, Jean-Baptiste Delanglade s’établit comme notaire à Marseille. Ses descendants s’allieront avec les plus grandes familles de Marseille (Bergasse, Cyprien-Fabre), et notamment avec Henry Bergasse, député des Bouches-du-Rhône et ministre des Anciens Combattants.
Mais revenons à la famille Bécat : en ligne directe, le fils du second Pierre Bécat s’appelle à nouveau Pierre (Numa Victor). Il épouse en 1862 Anastasie Bousquet, fille d’un propriétaire foncier. Leur fils, Louis Bécat (1870-1949), propriétaire cultivateur, dont vous voyez l’acte de naissance ci-dessous, quitte Pignan pour Gigean à son mariage avec Marie-Thérèse Maissonnier.
La famille Maissonnier est également une famille de cultivateurs aisés, est connue à Gigean dès le XVIIe siècle. Les parents de Marie-Thérèse sont propriétaires. C’est par ligne collétarale que se fait l’alliance avec la famille Fieschi, originaire du village de Renno en Haute-Corse et descendant de la famille Ramolino, dont était la mère de Napoléon Bonaparte. Les descendants actuels des Fieschi sont les Fieschi-Vivet.

Famille Rotgé (Roussillon)

Les Rotgé, installés depuis longtemps en Roussillon et pour ainsi dire enracinés dans le terroir, auraient une origine plus exotique. Le premier Rotgé à avoir foulé le sol français aurait été Jacques Rotgé (ou James Rotger), un irlandais. Historiquement, on date l’arrivée des partisans de Jacques II, catholiques, après la défaite de Limerick contre Guillaume d’Orange, en 1697. Les Rotgé feraient partie de ces jacobites comme les Dillon ou les O’Mahony, peut-être mercenaires (« oies sauvages »)…
La légende continue : ce Rotgé aurait habité à Paris tout d’abord, rue des Mauvais Garçons (actuellement IVe arrondissement), avant de se fixer à Sournia, où sa descendance existe en effet à la charnière du XVIIe et du XVIIIe siècle. Le portrait reproduit ici serait le sien…
Nous ne pouvons pas actuellement vérifier l’exactitude de ces données, faute de documents. Le premier acte qui atteste de la présence des Rotgé en Roussillon date du 15 décembre 1738. C’est l’acte de mariage de Jacques Rotgé, fils de Jacques et Catherine Rotgé, avec Marie Alis, à Saint-André (act. Pyrénées-Orientales). François Rotgé, leur fils, épouse Thérèse Barescut, issue d’une famille noble bien connue d’Ille-sur-Têt. Le père avait assisté en 1789 à l’Assemblée de la Noblesse de Roussillon, le premier ancêtre avait été anobli en 1706 par Lettres patentes de Louis XIV le faisant « burgès honrat de Perpignan ».
Les Rotgé se fixent à Sournia par le mariage de Jacques Rotgé, fils des précédents, et de Catherine Roger, le 8 juin 1825. Jacques est garde forestier général à Sournia. Avec son épouse, il est propriétaire du domaine de Palmes, dans la campagne de Sournia, et de nombreuses terres dans les parages, notamment à Campoussy. Le château de Sournia a été acquis à la fin du XVIIIe siècle à la famille de Castéras par les Roger.
Gabriel Rotgé (1826-1904), fils du couple Rotgé-Roger, juge de paix du canton de Sournia, épouse Caroline Saleta, descendant d’une part des Saleta, famille de grands notables perpignanais (avocats) et des Meric (influents banquiers fixés doublement à Perpignan et à Barcelone). Ils ont Hélène Rotgé, mariée à Paul Bauby (ce sont les parents des frères Bauby, Charles et Firmin, qui ont joué un rôle important dans la vie artistique et culturelle des Pyrénées-Orientales au milieu du XXe siècle) ; et Joseph Rotgé.
Par les Roger, se fait la parenté avec les Bordes, les soeurs et le dernier représentant de la lignée, Philibert de Bordes (1845-1930). Les Bordes possédaient une propriété à Thuès dont hérita également madame Bécat. Sur cette ancienne famille de la noblesse du Roussillon (anoblie par Lettres patentes de Louis XV en 1721), un livre illustré est en cours de préparation. Le dernier membre de cette famille fut Philibert de Bordes, mort en 1943 (illustration ci-contre).
Joseph Rotgé (1874-1935) se marie à Elisabeth Bonet qui lui apporte une vaste maison à Prades. Construite par les Roquemaurel, puis achetée par les Galaud, qui étaient chirurgiens, elle était passée à la famille Bonet. Mais rien ne vaut, sur cette dernière famille, la lecture de l’excellent article du professeur Georges Bonet, Les Bonet de Banyuls-dels-Aspres, en Roussillon, paru dans diverses revues érudites. Il s’agit d’une enquête très détaillée et documentée sur la noblesse des Bonet.
Le couple Bécat fréquenta donc à de nombreuses reprises les propriétés héritées des Rotgé, Roger, Bordes, Bonet, à Sournia, Campoussy, Thuès, Prades. Dans la maison de Prades s’éteignit Pierre Bécat en 1993, puis son épouse en 1999, dernière représentante de la famille Rotgé.