Dès son inscription au barreau de Paris, Me Renouvin (Paris, 8 octobre 1905 – Mathausen, 24 janvier 1944) est devenu un collaborateur de mon père. Il assurait seul la gestion du cabinet, lorsque nous allions dans le Midi, mes parents s’occupant des diverses propriétés familiales. Il faisait partie d’un petit groupe d’amis comprenant, outre mes parents, le futur Général de Benouville (« Benou » pour ses amis), Me Pierre Xardel, qui était président du Cercle de Sèze, Joseph Thérol, auteur d’une collection sur les missionnaires Maristes (Martyrs des Neiges, des Sables, des archipels), le capitaine de frégate François Jaubert, cousin germain de ma mère et mon parrain. Bien que très jeune, j’ai eu l’occasion de le voir souvent, puisqu’il travaillait tous les jours à la maison. Très grand (presque deux mètres), charmant, plein de vie, spirituel, il me faisait virevolter dans ses grands bras, m’expliquant que c’était un exercice efficace pour affronter les manèges les plus spectaculaires de la bien nommée « Foire du Trône » voisine. Il a joué un grand rôle dans la réussite du Cercle de Sèze qui réunissait grâce à Me Pierre Xardel des personnalités débordant largement l’influence de l’Action française.
En 1938, coup d’éclat, à l’arc de Triomphe, il soufflette Pierre-Etienne Flandin, président du Conseil, parce qu’il venait d’envoyer un télégramme d’encouragement à Hitler ! Mais cette insulte s’est déroulée avec une infinie distinction, car il a lancé sur les joues de l’intéressé le gant de « beurre frais » qui armait sa main droite. Du coup, il faisait ses « visites de château » chez les maîtresses de maison qui se bousculaient pour le recevoir, avec une boîte de chocolats… et un seul gant ! Le lendemain, mon grand-père maternel, Joseph Rotgé, se déplaçait à grand fracas à la poste de Prades pour lui envoyer un vibrant télégramme de félicitations ! Il avait tout d’un capitaine Fracasse.
Ses activités de Résistant nous ont beaucoup inquiété, car son physique était le contraire de ce qu’il fallait pour effectuer des actions clandestines. Sa très haute taille et une voix de Stentor le rendaient repérable très facilement, et il a échappé, souvent d’extrême justesse, à de nombreuses tentatives d’arrestation organisées par la Gestapo.
Aussi, vu le danger croissant, mes parents l’ont supplié de se rendre dans un grand mas que possédait ma famille à Thuès, d’où il était facile de gagner la frontière espagnole par des sentiers, certes escarpés, mais très peu fréquentés. Bien que n’ayant que sept à huit ans, je connaissais bien tous les chemins, car j’y allais avec Pierre, le berger du mas. Il était donc prévu que j’escorterais le « sergent » (on l’appelait ainsi) pendant tout le début du chemin, ensuite, des relais avaient été prévus jusqu’en Catalogne Sud. Malheureusement, emporté par l’action, il n’est finalement pas venu à Thuès, et s’est fait arrêter en zone de Brive. Sa fin terrible nous a beaucoup affecté. D’un autre côté positif, il a connu sa femme en prison, s’est marié et à donné naissance à Bertrand Renouvin qui bien plus tard est venu voir mes parents.
Pour plus de détails, voir les différents sites sur Jacques Renouvin, et le blog, très émouvant, de son fils Bertrand Renouvin.
D’après André Bécat.