Le Canigou

Ses teintes, ses rayons, varient au gré de l’heure,
Du mauve de l’aurore à la pourpre du soir,
Une brume impalpable à la minute effleure
Son faîte rougeoyant, pur comme un ostensoir.
Sa crête illuminée, au premier matin rose,
D’un bleu pâle à midi, miroitante au couchant,
Prend des couleurs de chair dans ses métamorphoses,
Et vire au gris d’ardoise à la nuit approchant.

Dans sa splendeur ambrée et sa beauté de marbre,
Tous ses feux condensés s’évaporent soudain.
A l’appel de la nuit il tend, comme un grand arbre,
Aux vrais flambeaux du ciel son front calme et hautain.

Il a su résister aux siècles d’âge en âge,
Il brise indifférent orages et typhons,
Il est civilisé tout en restant sauvage,
Et nul ne le connaît dans ses replis profonds.

Ses pistes, ses chemins ont de brusques virages
Qui butent aux rebords parfois vertigineux,
D’où l’on voit s’effondrer, comme aux creux des alpages,
Des pins agglutinés dans des amas rocheux.

Un cyprès, une chèvre, une bête de somme
Qu’on croirait agrippés près d’un ravin béant,
Aux abords crevassés, impressionnants pour l’homme,
Vibrent dans le fracas d’un torrent bourdonnant.

Il a ses verts pâtis où tintent les sonnailles,
Ses vides effrayants, ses pics inexplorés.
Le long de ses parois, de géantes entailles
Abritent des sentiers à travers les fourrés.

Silence des hauteurs et vertige des cimes.
Immense solitude aux falaises d’airain,
Où l’oiseau prédateur, au-dessus des abîmes,
Fonce sur une proie et l’enlève soudain.

Plus loin, quelques isards, un moment immobiles,
Franchissent d’un élan les coupoures des monts.
Puis, comme suspendus sur leurs pattes agiles,
Ils guettent le chasseur du haut de leurs balcons.

On y peut contempler le Golfe du Lion,
Dans la fascination de notre mer latine,
La plaine qui s’étire au long du Roussillon,
Le Ventoux qui défend la Provence voisine.

De sa croupe arrondie, éclatante et bleuâtre,
Qui livre incontinent quelque abri dans son flanc,
On découvre à ses pieds comme un amphithéâtre
La Têt et sa vallée aux portes du Conflent.

Vernet et ses hivers tièdes aux heures moites,
Prades et ses vergers aux parfums d’ambroisie,
Et son fleuve ondoyant dans ses berges étroites,
Molitg aux nuits d’été dignes d’Andalousie.

Tel est le Canigou, merveilleux florilège
Des climats, des saisons, des décors, des couleurs,
Qu’il soit enveloppé dans son manteau de neige,
Que ses rhododendrons le couvrent de leurs fleurs.

Géant, majestueux, splendide, solitaire,
Contraste florissant de concerts lumineux,
Sa pointe de diamant, sa forêt lapidaire,
Attirent le touiste intrépide et curieux.

Toujours plein d’impévus, telle une nébuleuse,
Sa forme, sa grandeur le font universel.
Il garde sa jeunesse aimable et généreuse
Et la sérénité de son faste éternel.

Pierre BÉCAT

Gigean

Aux pieds de Saint-Félix, au seuil de sa garrigue,
Gigean s’épanouit dans l’azur occitan.
Des plus proches hauteurs, dans leur écrin d’argent,
Bleuissent les étangs où le pêcher navigue.

Plus loin, jaillit la mer et son halo de rêve,
Dans les jeux lumineux et ses flots palpitants.
Mouettes, goélands mêlent près de la grève,
Leurs ailes blanches aux blancs voiliers frissonnantes.

Quand le ciel étoilé luit sur les eaux dormantes,
Par une douce nuit qui sommeille et se tait,
Sur les clairs éboulis aux formes nonchalantes,
Imprégné des parfums et des soupirs d’été,
La campagne susurre, aimable confidente,

De ses massifs poreux mille tonalités
Qui glissent dans mon cœur, plein de diversité,
Le deuil et le regret de quelque image absente.

Gigean, ô mon pays, ma jeunesse, ma flamme,
Buisson ardent aux plis d’un divin reposoir !
A la pointe du jour, je sens vibrer mon âme,
J’entends battre son cœur à l’angélus du soir.

Pierre BÉCAT